1_L’ARRIVEE
Campée dans ses 90 printemps alertes qu’elle avouait avec
un
enthousiasme gamin, seuls ses cheveux argentés et pleins de vie corroboraient son âge.
Elle était arrivée le mois dernier dans ce village paysan perdu dans les exploitations
agricoles, loin du tintamarre des villes et des dernières innovations techniques même si tout un chacun était connecté gratuitement en illimité à la TVEG: entendez par là: la
TV de l’ETAT GOUVERNANT. Un coin de péquenots de bonne souche, grands consommateurs des produits de leurs propres vignobles
qui semblaient exclure l’eau de leur consommation de liquide, hormis dans les soupes quotidiennes corsées d’une cuillerée de schnaps de poire.
La vieille dame avait emménagé dans la maison inhabitée des Pirqalus dont le dernier représentant, Xanthelm Pirqalus, un vieil original solitaire, s’était éteint sans héritier quelques mois auparavant à l’âge respectable de 103
ans. Elle était arrivée un beau matin, comme passagère d’un
camion fermé de déménagement dont l’apparition soudaine avait semé un émoi furtif au sein de la population locale autochtone présente, surprise par cette intrusion dans leur
microcosme.
C’est à ce moment-là que la dite population réalisa pourquoi quelques semaines plus tôt, des ouvriers de la ville ( si lointaine) s’étaient
affairés sur la bâtisse du défunt pour la restaurer tout en en modifiant notablement l’apparence. Elle avait été entourée d’une haute muraille fermée par un haut
portail rébarbatif s’ouvrant sans contact manuel et sa toiture avait été recouverte presque entier de plaques indigo captant l’énergie solaire. Les ouvertures,
portes et fenêtres en bois furent remplacées par des baies vitrées fumées coulissantes protégées par des panneaux métalliques pliants motorisés. Ce qui la rendit aussi
isolée qu’autonome et aussi inviolable que rébarbative.
La population locale aussi discrète que curieuse ne se montra pas trop à l’arrivée du camion silencieux et ne put voir quoi que ce soit de cet emménagement
car le fourgon était entrée en marche arrière dans la cour dont le portail s’était refermé sur elle.
Puis au bout d’une demi-journée le portail s’ouvrit et le camion repartit, aussi silencieusement , sans autre forme de procès…au grand dam de la curiosité
locale.
Le lendemain, vers 10h le portail s’entrouvrit et la vieille dame s’appuyant sur sa canne en acier enrobée dans une couche de bois rare pourpre sculpté, à
la poignée d’ébène ouvragée sortit de l’enceinte pour se diriger paisiblement par la voie bétonnée vers la maison la plus proche, celle des Ispanghos producteurs de maïs ,de volailles, de vins et de fruits.
Cette canne, à l’air si frivole d’apparence, était en réalité un condensé de haute technologie parfaitement camouflée qui la maintenait
en contact avec sa base de données...
Comme le voulait la tradition locale, en arrivant au pied du perron de la vaste véranda, elle tapa 3 fois dans ses
mains puis frappa la terre du pied droit en disant : « Bonheur et prospérité en cette demeure ».
Cette attitude respectueuse de la tradition la fit instantanément accepter par les habitants des lieux et le voisinage curieux , à l’affût derrière les
haies et les clôtures.
_A la bonne heure ! La vieille dame était donc une ”honorable compagne ” comme se qualifiaient les personnes de sexe féminin du cru et non une simple citadine maniérée.
_ Faites nous donc le plaisir et l’honneur de pénétrer dans notre demeure dame voisine, s’écria Mme Ispanghos à la fin du rituel de visite courtoise démontré par la vieille dame.
La vieille dame obtempéra d’un pas alerte en gravissant prestement les quelques marches menant à la véranda sur ses bottines spéciales.
« Sur vous le salut du créateur éternel, honorable famille. Mon nom est Abigaelle Durschoff et je suis demoiselle sans aucune descendance! » _ détail important pour ces paysans qui avaient la culture de la famille bien fournie, mais respectait les femmes « improductives » [ n’ayant jamais procréé] _ elles avaient en compensation de leur infertilité des dons et des talents spécifiques,
(assez mal connus d’ailleurs) croyait-on ,durement mais vaguement.
Chacun des membres présents de la famille, en majorité des femmes et des enfants, quoique d’attitude affable et de comportement hospitalier se tenait à distance
respectable du personnage étranger. Sait-on jamais … ?
Des bruits couraient dans la population sur les « improductives » à propos de certains pouvoirs qui leur permettaient d’asservir une personne par simple contact cutané. Abigaelle informée de cette croyance se garda bien de toute tentative
de contact physique avec quiconque; évitant d’ailleurs la proximité des petits enfants qui eux n’étaient peut-être pas au courant et risquaient de l’approcher sans préavis,
quoi qu’ils fussent tenus fermement par leurs aînés. Mais, on n’est jamais trop prudent...
Abigaelle souriait intérieurement en se disant que s’ils n’étaient pas loin de la vérité, ils partiraient sans doute, tous ventre à terre
pour s’éloigner d’elle en ayant connaissance de sa véritable nature…Sa canne captait et transmettait de façon silencieuse des données à sa base.
La charmante vieille dame déposa donc sur la table une bourse bien arrondie en disant : « Il me faut un chargement de farine de maïs et une dizaine de
poulets de 10 mois égorgés, plumés et vidés, prêts à cuire. Vous y ajouterez quatre cageots de bouteilles de votre meilleur vin... Vérifiez je vous prie si la somme convient ».
La mère obtempéra et constata que la somme contenue dans la bourse dépassait allègrement la valeur de la commande de la dame. Fine mouche, elle demanda à
la dame si c’était là tout l’objet de sa commande ou peut-être, voudrait-elle ajouter quelque chose car la ferme produisait aussi des items dérivés du maïs, comme des rames
de papier ou des bloc-notes ou des sachets.
Jouant le jeu, Abigaelle ajouta à sa commande quelques items pour en arrondir la facture au plus près. L’affaire se conclut donc à la satisfaction des deux parties
qui se mirent d’accord sur les modalités de livraison quelque peu spécifiques.
En effet: la marchandise devait être acheminée jusqu'au portail par un véhicule qui serait garé devant en marche arrière, puis abandonné
jusqu'au lendemain où il serait remis à disposition. Cela fut accepté sans un haussement de sourcil.
...Il était recommandé de ne pas top s’aviser de contrarier une “improductive” (surtout fortunée) car ses réactions pouvaient être d’une violence dévastatrice que l’on attribuait volontiers
à un excès d’hormones dans leur sang ayant provoqué une “mutation génétique”. Enfin c’est un bruit qui courait....Personne n’avait eu l’occasion
de le vérifier dans le coin!
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